Dans l’Est londonien, la “drogue” à la mode est le protoxyde
d’azote, inhalé avec un ballon de baudruche. Une pratique ludique,
facile d’accès, et néanmoins dangereuse.
Londres, 22 h 30, un vendredi soir à Brick Lane, une rue de
l’Est populaire, célèbre pour son street art et ses hipsters. Depuis
quelques mois, les rabatteurs des restos indiens sont concurrencés par
un commerce d’un nouveau genre. Les vendeurs à la sauvette de ballons de
gaz hilarant ont en effet fleuri sur le pavé. Jusqu’à présent, on
consommait ces ballons en festival ou en warehouse party.
Aujourd’hui, les revendeurs ont investi Shoreditch et Brick Lane, les
jeunes se promènent avec des baudruches collées au bec et les rues sont
jonchées de ballons multicolores et de cartouches métalliques au petit
matin. Le protoxyde d’azote, qu’on utilise dans les siphons à chantilly,
est légal. Pour Kevin Fenton, directeur national du département santé
de Public Health England, “le gaz peut être dangereux mélangé à l’alcool. Les
effets sont vertiges, euphorie ou même hallucinations. Le protoxyde
d’azote ralentit le cerveau et les réponses du corps. A terme, il peut
endommager le système nerveux.”
A 5 livres sterling les trois ballons en moyenne, ce trip à
peu de frais, parfois appelé “hippy crack”, a de quoi séduire la
jeunesse, attirée par le côté ludique. Les autorités s’en trouvent un
peu dépassées, aussi bien pour des raisons de santé publique et de
sécurité que pour des questions d’image et d’entretien. Feryal Demirci,
élue du quartier de Hackney, explique : “Nous ne pouvons pas intervenir contre les personnes vues en train d’inhaler, seulement contre celles qui vendent le gaz.”
Il y a quelques semaines, 1 200 cartouches de gaz ont ainsi été saisies
et des amendes distribuées pour vente sans autorisation.
“Loin des délires gratuits des débuts”
Ce soir, les voitures de police remontent l’effervescente
Brick Lane. Mais à peine hors de vue, les familiers chuintements
reprennent sous un porche, où un revendeur remplit et tend des ballons à
deux jeunes hommes. “Je ne sens plus mes doigts”, rit Tom, en agitant ses phalanges. Il reprend ses esprits quelques instants :
“La première fois que j’ai pris du protoxyde d’azote,
j’avais 13 ans, c’était chez moi, à la campagne. Il suffisait de
prétendre travailler en restauration pour acheter le matériel sur
internet. Personne ne vérifiait. Aujourd’hui, c’est devenu un business
lucratif dans la rue, loin des délires gratuits des débuts.”
Jamais bien loin, le revendeur confirme d’ailleurs écouler
au moins cent ballons par soir. On trouve d’ailleurs facilement sur la
toile des sites spécialisés dans la livraison de protoxyde d’azote “pour
la restauration”. Amazon vend même des kits, et des logos ont fait leur
apparition sur les ballons.
Le cercle s’élargit autour du “dealer”. Certains font juste
une brève halte et repartent avec leur ballon, d’autres restent discuter
le bout de gras. Les fêtards comparent leurs expériences, enchaînent
éphémères incohérences et dialogues lucides. “C’est ma première fois, rit une jeune femme court vêtue. Enfin, ma première fois, c’était pendant mon accouchement, mais là j’ai la douleur en moins !”
On aperçoit même deux jeunes femmes voilées s’arrêter
furtivement pour prendre un ballon. Le public est hétéroclite,
l’ambiance bon enfant. Une main sur le siphon qui dépressurise à tour de
bras, le “dealer” n’en oublie pas de draguer les minettes tout en
prodiguant des conseils de consommation.
“17 morts dénombrés entre 2006 et 2012″
Entre deux ballons, Tom poursuit : “Une fois, mon frère a
réussi à obtenir en fraude une bouteille de gaz médical. On était à une
soirée chez des gens et on prenait de très gros ballons. J’inspirais et
expirais à plusieurs reprises et je suis tombé une première fois. J’ai
recommencé un peu plus tard, je suis tombé à nouveau et ai explosé une
sculpture. Je me suis fait mettre dehors. Si tu organises une party où
les gens prennent de la drogue, tu mets les objets de valeur à l’écart,
non ?”, sourit-il.
Selon Stephen Ream, directeur de Re-Solv, association caritative pour la prévention de la consommation de substances volatiles, “le
danger réside dans une mauvaise utilisation, notamment via des
bouteilles de gaz médical et des masques, majoritairement responsables
des 17 morts dénombrés entre 2006 et 2012″. Dernier accident en
date, début juillet, un Londonien de 25 ans est décédé dans un festival à
Sète, dans le sud de la France, se noyant après avoir consommé du gaz
hilarant.
L’association Re-Solv craint également que les jeunes soient tentés de consommer du butane à partir des recharges à briquets. “Un gaz bien plus dangereux et responsable de 600 morts au Royaume-Uni depuis 2000″,
explique Stephen Ream. Selon les dernières statistiques (1), 7,16 % des
16 à 24 ans ont consommé du protoxyde d’azote sur la période 2013-2014,
soit 465 000 utilisateurs contre 405 000 l’année précédente, plaçant le
gaz hilarant en deuxième position pour cette tranche d’âge, derrière le
cannabis (15 %).
(1) Source : Crime Survey for England and Wales
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