mercredi 20 août 2014

Aux sources tragiques du conflit israélo-palestinien (Par Marcel Boisard.)



Ancien sous-secrétaire des Nations unies, Marcel Boisard rappelle ici les origines les plus lointaines du conflit israélo-palestinien: l’impérialisme et le nationalisme européens du dernier quart du XIXe siècle, le sionisme, le panarabisme… Un éclairage qui nous ramène à l’urgence de la table des négociations entre les deux parties.


  Les violences qui ensanglantent le Moyen-Orient remettent en cause l’ordre imposé par l’Europe, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’impérialisme et le nationalisme, qui s’affirmèrent dans le dernier quart du XIXe siècle, éclairent la situation actuelle. En Asie, l’Inde passait sous domination de la couronne britannique et la France colonisait l’Indochine. L’Afrique était dépecée, lors de la Conférence de Berlin. L’Empire ottoman commençait d’être attaqué dans ses provinces occidentales. La conquête atteignit son apogée au terme de la Première Guerre mondiale, avec les Accords Sykes-Picot et le Traité de Versailles qui démembrèrent l’empire.

Initialement, le nationalisme représentait moins une idéologie qu’un sentiment diffus d’appartenance, généralement linguistique. Concept vague, il devint un élément mobilisateur d’identité, de cohésion et d’exclusion, poussé par une petite bourgeoisie modeste et lettrée. La nation se confondit progressivement avec la race, à l’intérieur de frontières. Des minorités apparurent qu’il convenait d’assimiler ou d’exclure. Deux guerres mondiales et des tentatives de génocide s’ensuivirent.

C’est dans ce contexte historique que Theodor Herzl, en 1895, lança l’idée d’un «Etat juif». Il avait lui-même été nationaliste allemand, mais devint convaincu que l’assimilation était irréaliste, face à l’antisémitisme en Europe. L’Angleterre proposa des territoires qui ne lui appartenaient pas, au Sinaï ou en Afrique orientale, d’abord. En 1917, Arthur Balfour, le ministre britannique des Affaires étrangères, attribua la Palestine au mouvement sioniste sur les ruines de l’Empire ottoman.

On fait remonter la manifestation du nationalisme arabo-musulman à la polémique, en 1883, entre Ernest Renan et Al-Afghani, sur le progrès et l’archaïsme. L’implication ultérieure de penseurs occidentalisés, dont plusieurs chrétiens syro-libanais, lui donna une nouvelle tournure. Son expression, anticoloniale, s’avéra double et antagoniste: panislamique et panarabique. Des indépendances séparées furent arrachées, dans des frontières fixées par la colonisation. Deux peuples firent exception, les Kurdes restés sur leurs terres, divisées entre quatre Etats, et les Palestiniens, réfugiés dans des camps !

De façon concomitante, les deux peuples, arabe et juif, furent frappés par ce qu’ils nomment une «catastrophe», shoah en hébreu, nakba en arabe.

La défaite de 1948 créa un traumatisme profond dans la conscience arabe et plus largement musulmane, communautairement solidaire. L’existence de l’Etat d’Israël offrit en outre aux gouvernements vaincus une excuse pour justifier leur incurie et leur corruption. L’irrédentisme des Palestiniens s’appuie sur le refus de payer pour la rédemption d’une monstruosité, commise contre les juifs par les Européens, qui, pour se disculper, évoquent une réalité historique, comme si elle était virtuelle, nommée «les nazis». La destruction de l’Irak par l’intervention américaine inconsidérée, puis les révoltes libertaires et socio-économiques du printemps 2011 ont libéré des forces qui s’avèrent incontrôlables. La désespérance et l’humiliation dans le monde arabo-musulman ont engendré un réflexe identitaire qui, instrumentalisé par des fanatiques ignares, a déchaîné une violence inouïe, illustrée par l’Etat islamique sévissant en Irak et en Syrie. Certes, l’Etat d’Israël n’en est pas l’unique cause. A défaut de vivre pacifiquement avec ses voisins, il demeurera un abcès de fixation. S’il n’est pas endigué, le chaos pourrait entraîner toute la région.

Les horreurs de la Shoah marqueront pour toujours la conscience juive et créent un effet de double miroir, rendant irraisonnable le peuple traditionnellement le plus rationnel. Le premier miroir est celui de la diaspora qui voit en danger l’existence même d’Israël, entouré de populations qui refusent, ou acceptent de mauvaise grâce, sa reconnaissance. Cette vision de crainte est injustifiée. La survie d’un Etat, membre de l’ONU, n’est pas mise en cause. Surtout, les forces armées israéliennes sont beaucoup plus fortes que l’ensemble des troupes des pays arabes réunis. L’état comparé des niveaux technologiques n’est pas près de changer.

Le second miroir est celui de l’Etat d’Israël, qui se pose comme le dernier rempart contre un futur holocauste possible. L’actuel premier ministre est également ministre des Affaires de la diaspora. Ses services sont très vigilants. Cette vision dramatique n’est pas justifiée non plus. L’histoire ne se répétera pas en Europe. Ce double miroir rend la diaspora excessivement solidaire de la politique gouvernementale israélienne. Trop de critique passe pour trahison et, venant d’autres milieux, de prises de position anti-sionistes, qui camoufleraient une forme d’antisémitisme.

La violence contre la bande de Gaza a choqué les alliés, attisé la haine des ennemis et parfois développé un sentiment antijuif pernicieux, avec la banalisation de stéréotypes imbéciles. Cette brutalité est allée bien au-delà du droit absolu d’Israël à se défendre. Elle fut inutile, ne faisant que repousser les échéances. Les missiles, lancés sur Israël et interceptés en vol, paraissent bien dérisoires, face aux images d’une population sans défense portant ses morts et blessés, sans savoir où fuir. De part et d’autre, des excuses irrecevables et des condamnations irrévocables sont avancées. Les perspectives sont confondues, le problème n’est pas tant le Hamas qu’une occupation militaire de la Cisjordanie de près d’un demi-siècle et le «bouclage» de Gaza depuis 1991! La question palestinienne est prisonnière d’un dilemme entre la faiblesse du fort, trop fort pour se plier à un accord, et la force du faible, trop faible pour accepter un compromis. La solution passe à l’évidence par la reprise de négociations, même si les exigences ­paraissent actuellement irréconciliables.

 Devraient-elles être «imposées» comme le préconise Laurent Fabius ? L’Europe, première responsable de cette situation, à cause de son antisémitisme séculaire et de ses manigances impérialistes passées, est absente du débat. Les Etats-Unis, qui ont opposé plus de 40 fois leur veto à des résolutions condamnant Israël, ne sont pas un médiateur crédible. Il appartient aux parties concernées de se mettre d’accord, si elles souhaitent la paix comme elles le prétendent. A défaut, la construction imposée dans les années 1940 s’effondrerait, avec la disparition des Etats-nations au profit d’un califat chimérique et sanguinaire et d’une hostilité redoublée à l’égard d’Israël. Redessiner la carte du Moyen-Orient, en fonction des religions et des ethnies, comme le proposaient encore des stratèges israéliens, entraînerait des déplacements de populations dans d’effroyables bains de sang. Ce serait le pire aveu d’impuissance devant l’intolérance.

La solution ne réside pas dans la force, mais dans le droit. En 2003, une initiative partiellement privée, appelée Accord de Genève, préconisait la reconnaissance mutuelle des deux Etats, le retrait israélien de la majorité des territoires occupés depuis 1967, avec un passage garanti entre la Cisjordanie et Gaza, le partage de Jérusalem et la possible indemnisation des réfugiés. Il constitue une voie raisonnable vers la paix. Qui pourrait raviver la flamme ?

Par Marcel Boisard, le 20 août 2014


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