INTERVIEW
La directrice générale adjointe de l'OMS Marie-Paule Kieny décrit l'état de la lutte contre l'épidémie de fièvre hémorragique, déclarée «largement sous-évaluée» par l'organisation.
«Largement sous-évaluée»,
selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’épidémie de fièvre
hémorragique continue de s’étendre. En cinq mois, le virus d’Ebola a
fait 1 069 morts, selon l’OMS. Les ONG, dont MSF, s’inquiètent de la
détérioration de la situation et du manque de moyens pour y faire face,
et appellent à une mobilisation mondiale. Marie-Paule Kieny (photo OMS),
directrice générale adjointe de l’OMS pour les systèmes de santé et
l’innovation, revient sur les enjeux de cette course contre la montre
pour stopper la crise.
Quels sont les principaux besoins sur le terrain ?
Le
besoin le plus urgent est d’abord humain. Il faut des gens pour appuyer
le personnel local, pour assurer le suivi et la prise en charge des
malades. Il manque des forces vives sur le terrain. Pour lutter contre
le virus d’Ebola, on ne peut compter sur aucun traitement spécifique, ni
sur un vaccin, et le taux de mortalité est élevé. Du coup, les gens ont
peur, y compris le personnel de santé sur le terrain. Les médecins
locaux sont dépassés par l’ampleur de leur tâche, par le nombre de
malades qu’ils voient arriver. Dans ces pays, les systèmes de santé sont
extrêmement fragiles, ce sont des pays pauvres qui sortent de la
guerre. Dans certains endroits, les soignants ne sont pas payés. Ce
n’est pas facile pour eux d’être motivés, de venir travailler dans des
conditions très éprouvantes, alors qu’ils ont l’impression de mettre
leur vie en danger. Le taux d’infection et de mortalité parmi le
personnel de santé est inquiétant. Près de 10% des décès concernent ces
professionnels. En face, la communauté internationale qui les épaule se
trouve en trop petit nombre. L’argent vient, mais cela ne suffit pas. Et
même si les médecins de MSF sont nombreux et font un travail
fantastique, ils ont besoin de se reposer.
Vendredi, MSF pointait aussi du doigt les infrastructures insuffisantes…
Nous
avons besoin de structures permettant d’héberger les gens et de les
prendre en charge dans de bonnes conditions. Pour éliminer l’épidémie,
il faut trouver les personnes contaminées, les soigner aussi bien qu’on
peut, tracer les contacts, les isoler. Mais si les malades ont
l’impression que l’endroit dans lequel on les envoie pour être
hospitalisés est un mouroir, avec des conditions d’hygiènes absolument
abominables, ils ne viennent pas et rentrent chez eux. Si les conditions
de soin et d’isolement ne sont pas satisfaisantes, il devient compliqué
de prendre l’épidémie en main.
Aujourd’hui, aucun médicament homologué n’est disponible. Cela veut-il dire que la crise n’a pas été anticipée ?
Il
y a clairement eu un défaut d’anticipation. Nous n’avons aucun
traitement, alors même que la faisabilité existe. D’un point de vue
technique, nous ne sommes pas en train de parler de choses extrêmement
difficiles. C’est un échec de la société basée sur le marché, celui de
la finance et des profits. L’Ebola est une maladie de pauvres gens, dans
des pays pauvres, et qui concerne très peu de personnes. En Europe des
traitements sont développés pour des maladies rares, comme par exemple
les maladies génétiques, même si cela touche peu de monde, puisque les
patients ou la sécurité sociale peuvent payer. Mais là, les gens n’ont
pas d’argent, donc il n’y a pas de stimulation. Surtout que le
développement des médicaments coûte très cher, plusieurs centaines de
millions d’euros. Néanmoins, on ne peut pas dire que rien n’a été fait.
Des académiques et des petites sociétés ont travaillé sur le virus
d’Ebola. Des financements du gouvernement des États-Unis, dans le cadre
de recherche contre le bioterrorisme, ont permis d’avancer. Grâce à
cela, des molécules prometteuses ont été amenées jusqu’à un stade de
développement relativement avancé. Malheureusement, les laboratoires ne
sont pas allés jusqu’au stade ultime de développement, à savoir l’essai
clinique sur l’homme, parce que, justement, cette phase de R&D est
la plus coûteuse.
Lundi, le comité d’experts réuni par l’OMS a approuvé l’emploi de traitements expérimentaux. N’a-t-on pas trop attendu ?
C’est
difficile à dire, car en médecine, il faut d’abord s’assurer de la
non-dangerosité des produits utilisés. Ce n’est pas rare que des
médicaments, que l’on croit sans effets secondaires, s’avèrent nocifs.
L’utilisation de traitements en dehors d’un chemin réglementaire doit
rester hors norme. Il faut bien comprendre la recommandation du comité
d’experts. L’idée n’est pas de prendre n’importe quoi et d’aller
l’inoculer aux malades sous prétexte que cela pourrait les soigner. Ces
derniers temps, il ne se passe pas un jour sans que l’OMS ne reçoive des
propositions de produits ou de solutions parfois loufoques pour soigner
les malades. Nous ne parlons pas de cela, mais bien de faire avancer
des traitements pour lesquels nous avons de bonnes raisons de penser
qu’ils pourraient être efficaces avec une toxicité sur l’homme limitée.
Y a-t-il aujourd’hui des médicaments disponibles ?
Dans
la mesure où la recherche n’en est qu’à la phase expérimentale, il n’y a
pas de stock. Depuis quelques mois les industriels qui développent les
médicaments et vaccins essayent d’augmenter leur capacité de production.
Il faut un changement d’échelle. Concernant le Zmapp, ce mélange d’anticorps monoclonaux dont on a beaucoup parlé,
il n’y a jamais eu plus de dix traitements disponibles en même temps, à
ma connaissance. Et ces doses sont aujourd’hui épuisées. Il va falloir
plusieurs semaines pour avoir un certain volume, qui de toute manière ne
sera pas commensurable avec les besoins potentiels. Reste une inconnue:
à quel tarif les industriels vont-ils monnayer ces traitements? Je ne
doute pas que, dans un premier temps, la plupart vont être fournis à
titre gracieux, ceci afin d’essayer de soigner les personnels de santé
et les logisticiens. Non pas que ces derniers aient un droit plus
important que les autres, mais au titre du principe de réciprocité, car
ils mettent leur vie en danger. Et pour des raisons d’utilitarisme
également: il faut préserver cette force de travail contre l’épidémie.
Comment va évoluer la situation ?
Nous
allons arriver à bout de cette épidémie en utilisant les méthodes qui
ont marché pour les précédentes crises, en mettant en place des
politiques de contrôle et de prévention. Au plus haut niveau des pays,
les autorités ont pris conscience du problème et des mesures
exceptionnelles ont été prises, notamment l’isolement de communautés
entières. Les Nations-Unies sont en train de tout mettre en œuvre pour
fournir de l’alimentation à ces populations. Les choses se mettent en
place de façon très sérieuse pour arrêter la transmission dans les zones
chaudes, dans les prochains mois.
Les questions d’accès aux traitements, de quarantaine, de pénurie de nourriture dans certaines régions ne risquent-elles pas d’entraîner des débordements, voire des émeutes sociales ?
La violence existe déjà car
les gens ne comprennent pas et il y a beaucoup de désinformation. C’est
aussi pour cela que nous devons faire preuve de prudence avant de
déployer, n’importe où et n’importe comment, les donations de
médicaments que l’on a reçues, et notamment les 800 doses de vaccin
données par le Canada. Notre mission consiste à aider les gouvernements
des pays concernés à mettre en place des schémas de priorisation. Ce
sont eux qui sont responsables de l’utilisation ou non de ces
médicaments. Il est de leur prérogative de voir comment faire au mieux
pour traiter leur population. Dans certains pays, comme au Liberia, le
président fait respecter les quarantaines par les forces de l’ordre. La
nécessité de limiter, au moins pendant un certain temps, la mobilité
vers l’intérieur et l’extérieur des pays ne fait aucun doute. Mais il
faut bien sûr s’assurer que les communautés isolées aient accès à l’eau
et à l’alimentation, de façon à ne pas générer une catastrophe
humanitaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire