Coluche avait popularisé l’expression dans les années 1980, pour mieux
la dénoncer. Les Français la reprennent en cette année 2014 mais plus
pour rigoler. Voilà ce que révèle la dernière édition d’une étude que le
Credoc publie depuis trente-cinq ans. Un résultat qui doit interpeller
la gauche.
L’expression « Salauds de pauvres » n’a pas été inventée par Coluche. Jean Gabin la prononce en 1956, dans le film La Traversée de Paris
de Claude Autant-Lara (d’après un roman de Marcel Aymé). Dans cette
scène, il ne s’adressait pas à des « prolos », ou des « clodos », mais à
un couple de bistrotiers. Le créateur des Restos du cœur a repris
l’interjection au début des années 1980 et l’a rendue célèbre. En
endossant le rôle d’un nanti qui égrène des poncifs à propos des
« sans-le-sou », c’est-à-dire des fainéants qui méritent ce qui leur
arrive, il en a fait un cri de révolte.
Trente ans plus tard, il serait catastrophé. Son « Salauds de
pauvres » gagne du terrain, mais il est presque pris au pied de la
lettre. Les Français se mettent à penser que les chômeurs n’ont pas
d’emploi parce qu’ils n’en cherchent pas, que les minima sociaux les
encouragent à rester chez eux, que les prestations sociales sont trop
généreuses pour les familles, et qu’il faut laisser les riches
tranquilles.
On n’est pas loin de ce que le journal Libération rappelait dans ses colonnes, en octobre 2010, et qui nous renvoie au XIXe siècle : dans un poème intitulé « Assommons les pauvres », le poète suggérait, sur le mode coluchien, de « rouer
de coups un mendiant pour l’obliger à répondre avec la même violence.
Manière, selon Baudelaire, de rendre au pauvre "l’orgueil et la vie" et
d’en faire l’égal des rupins »...
L’étude dont il est ici question n’est pas un sondage de
circonstance, mais le trente-cinquième numéro d’une enquête que le
Centre de recherche pour l’étude et l’observation a lancée dans les
années 1980, et qui analyse, années après année, « les inflexions du
corps social ». Alors que la pauvreté s’est accrue depuis 2008, notent
les auteurs, Régis Bigot, Émilie Daudey et Sandra Hoibian, « la solidarité envers les plus démunis n’apparaît plus comme une idée fédératrice de la société française ». C’est une brutale nouveauté. D’ordinaire, en temps de crise, les Français se montraient plutôt compatissants.
Plusieurs observations illustrent ce glissement.
Dans l’enquête « Conditions de vie et aspirations », 64 % des Français pensent que « s’ils le voulaient vraiment la plupart des chômeurs pourraient retrouver un emploi » (six points de plus qu’en 2012). Presque un Français sur deux estime que « faire
prendre en charge par la collectivité les familles aux ressources
insuffisantes leur enlève tout sens de la responsabilité » (10
points de plus en deux ans, un score jamais atteint !). 37 % sont
convaincus que les pauvres n’ont pas fait d’efforts pour s’en sortir (7
points de plus depuis 2012, 12 points de plus qu’au lendemain de la
crise) !
Le deuxième graphique remet en cause les politiques sociales. Trois Français sur quatre estiment qu’il est « parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler »
(augmentation de 9 points en deux ans), 54 % sont convaincus que les
pouvoirs publics en font trop (en hausse de 18 points depuis 2012), et
53 % déclarent que le RSA incite les gens à s’en contenter (soit 9
points de plus en deux ans).
Le
troisième graphique concerne l’aide aux familles. Depuis 1982 elle
était jugée insuffisante. Ainsi, 69 % pensaient en 2008 que l’aide aux
familles n’allait pas assez loin. En 2014, renversement total. Ils ne
sont plus que 31 % à souhaiter qu’on l’améliore…
Un
quatrième graphique concerne l’idée de la contribution des riches pour
la justice sociale. En 2012, 71 % du corps social considérait « qu’il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Ils ne sont plus que 55 %, soit une chute de 16 points.
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Repéré par : Le Vieux Loup
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