Tous les clignotants économiques montrent que la reprise s'est étouffée. La défiance qui préside désormais aux rapports franco-allemands, ajoutée au conservatisme de la Commission, laisse notre continent sans solution.
Il n'y a pas que l'organisation de
l'Etat islamique qui entend détruire la civilisation européenne
démocratique, laïque, infidèle. Il y a les responsables européens
eux-mêmes qui laissent s'installer la stagnation et le chômage de masse.
Leur immobilisme fait le lit du rejet. L'appauvrissement et la
déception conduisent au nationalisme, qui conduira à la disparition de
l'idée d'une communauté européenne, laquelle laissera les Etats
humanistes, séparés, petits, désarmés, proies faciles.
Tous
les clignotants économiques montrent, avec clarté, que la reprise s'est
étouffée. La croissance de la zone euro atteindra 0,8 % cette année et
1,1 % en 2015, selon l'OCDE, mais tous les indicateurs avancés laissent
penser que c'est un scénario bien trop optimiste. L'Italie est retombée
en récession, la France en stagnation et l'Allemagne, qui croyait s'en
sortir de son côté, voit les freins se serrer.
Notre voisin, malgré les
réformes Schröder, souffre gravement d'une population vieillissante,
d'une productivité trop faible, d'infrastructures abîmées, d'un coût de
l'énergie prohibitif, d'une spécialisation industrielle aujourd'hui
favorable, face à ses concurrents européens, mais demain de plus en plus
défavorable, face aux ambitions de la Chine dans les transports et la
mécanique. La croissance « potentielle » de l'Allemagne, 0,4 %, est
inférieure à celle de la France, 0,8 % (1).
Et
rien ne se passe. L'Europe, cent ans après, replonge dans une stérile
guerre de tranchées. Idéologique cette fois. La visite de Manuel Valls à
Berlin a mis en lumière l'opposition des deux camps, celui de l'offre
et celui de la demande. Les Allemands, leurs alliés et l'ancienne
Commission de Bruxelles n'entendent rien que les « réformes
structurelles ». Ils veulent que tous les pays membres fassent du
Schröder, coupent dans les dépenses et les coûts salariaux pour redonner
de l'élan au secteur privé. En face, Français et Italiens, épaulés par
les Américains, le FMI et tutti quanti, plaident que la conjoncture
prime. Ils s'appuient sur Keynes pour dire que les réformes
structurelles ont des effets récessifs et que, bref, ce n'est pas le
moment. La meilleure chose que Berlin et Bruxelles puissent faire est de
« relancer », investir chez eux, dépenser, grossir les salaires et la
consommation. La croissance européenne aura meilleur souffle, on pourra
commencer les réformes.
Ce
dialogue de sourds pousse chaque camp à faire le minimum et à accuser
l'autre. La croissance, dans ces conditions, n'est pas près de repartir.
La guerre de tranchées idéologique a mené à l'enlisement européen.
Les
torts sont partagés. Les Français sont les premiers coupables pour
avoir choisi, il y a quarante ans, un mode de croissance payé par la
dette et pour rester réticents à remettre cette facilité politique et
sociale en cause. Comme le dit cocassement Xavier Fontanet (2), jamais
Keynes n'aurait recommandé de faire de la relance pendant quarante ans !
Et pourtant, si.
Depuis la crise
du pétrole de 1973, la France se retranche derrière « la conjoncture
trop faible » pour ne jamais engager ses réformes. Manuels Valls
continue dans les traces de ses prédécesseurs, il laisse filer le
déficit, confirmant nos voisins dans leur attentisme. Il y aurait en
France des économies budgétaires et de vastes réformes « non
récessives » à engager : subventions, formation permanente,
libéralisations, horaires de travail, droit du travail (3).
La
France est surtout coupable de ne pas avoir de « proposition
offensive » pour une grande sortie par le haut de la crise actuelle.
C'est à la France de bâtir un plan de reconstruction d'ensemble
économique et politique.
L'Allemagne
est coupable, depuis 2008, de toujours traîner les pieds, pour sauver
la Grèce, pour sauver les banques, pour faire l'union bancaire, pour
tout. Notre voisin voit tellement Keynes comme source d'inflation (avec
Hitler au bout), qu'elle fait, à tort, obstacle à toute réflexion sur la
« demande ». Conséquence : Mme Merkel finit par céder, mais mal et
toujours trop tard.
Il serait
temps d'écouter Mario Draghi : l'Europe souffre des deux, et d'une offre
non compétitive et d'une demande atrophiée. Pourquoi le dialogue
franco-allemand ne parvient-il pas à s'ouvrir sur cette base ? Parce que
la défiance préside désormais aux rapports franco-allemands, durcis en
blocs accumulés depuis le funeste traité de Nice, de l'époque
Chirac-Jospin- Schröder. Il serait temps de voir le péril de la
stagnation venir, de le crier et de retrouver une ambition qui combatte
l'euroscepticisme avec des mesures concrètes (4).
Le
troisième coupable est Bruxelles. La Commission s'est soumise aux
ordres des gouvernements, qui, depuis Nice, la veulent sans pouvoir.
Elle n'a rien proposé lors de la crise, elle a manqué d'idées et de
force. La nouvelle équipe peut-elle surmonter les obstacles
institutionnels et retrouver un élan ? Il suffirait de se mettre dans
les traces de Mario Draghi, qui innove et qui sait avancer sans que les
Allemands le bloquent. Jean-Claude Junker parle d'un programme de
300 milliards d'investissement, mais les instruments se dérobent. La
Banque européenne d'investissement, convoquée, répond qu'elle craint
pour son triple A !
Mme Merkel
n'affronte pas son opinion, tentée par l'isolationnisme, M. Hollande
n'affronte pas son parti enfermé par l'obscurantisme, Bruxelles
s'empêtre dans la médiocrité des petits pouvoirs de bureau, la BEI
regarde sa note… L'Europe se meurt.
Eric Le Boucher
Eric
Le Boucher est éditorialiste aux « Echos »(1) Patrick Artus, « Flash »,
16 septembre, Natixis.(2) « Pourquoi pas nous ? » Fayard.(3) Agnès
Bénassy-Quéré, « Les Echos », 24 septembre.(4) « Pour une Communauté
politique de l'euro », Groupe Eiffel Europe.
LE WERWOLF
Les Echos :: lien
Repéré par : Le Vieux Loup
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