Howard
Moskowitz ne s’occupe cependant pas du packaging et des campagnes de pub
de ses gros clients, il joue avec la triade magique du sel, du sucre et
des matières grasses. Depuis plus de trente ans, il contribue en
coulisse à des sauvetages désespérés et transforme des chevaux boiteux
en cracks. Campbell Soup, General Foods, Kraft et PepsiCo ont appelé
Moskowitz à la rescousse quand leurs ventes chutaient ou que leurs
rivaux prenaient de l’avance. Et son but dans chaque cas a été de
trouver le point de félicité, cherchant la bonne quantité de chaque
ingrédient pour générer l’envie la plus forte possible.
Trop
de ceci ou pas assez de cela ne risquent pas de gâcher le goût ou la
texture d’un produit, mais les défauts se répercuteront sur les ventes,
et le moindre dérapage peut mettre nombre d’employés au chômage. La
spécialité de Moskowitz s’appelle l’optimisation, et il énumère ses
exploits sans fausse modestie : « J’ai optimisé des soupes, des pizzas,
des sauces salade et des cornichons. Dans ce domaine, je suis de ceux
qui font la différence. »
Moskowitz s’y connaît en matières grasses,
et il a récemment conseillé les industriels pour perfectionner leur
utilisation du sel. Mais il n’est jamais meilleur que quand il travaille
sur le sucre, ingrédient sans pareil pour attirer le consommateur. Il
ne se contente pas d’inventer de nouveaux produits sucrés, il les
conçoit grâce aux mathématiques dans un but précis : donner l’envie la
plus irrésistible. « Les gens disent : “J’ai envie de chocolat”,
m’expliqua-t-il, mais pourquoi a-t-on envie de chocolat ou de chips ? Et
comment créer l’envie chez le consommateur ? »
Conceptuellement, sa technique est assez
simple. Les produits alimentaires ont beaucoup d’attributs qui les
rendent attractifs, parmi lesquels la couleur, l’odeur, le packaging et
le goût. Dans le cadre de l’optimisation, les ingénieurs altèrent
légèrement ces variables et produisent des dizaines et des dizaines de
versions à peine différentes les unes des autres.
Ce ne sont pas de
nouveaux produits qu’ils cherchent à vendre, ceux-ci sont créés dans le
seul but de trouver la variable la plus parfaite, grâce à des tests. Des
consommateurs ordinaires sont payés pour passer des journées assis dans
une pièce où ils touchent, sentent, boivent, touillent et goûtent.
Leurs avis sont saisis dans un ordinateur, et c’est là que les
connaissances de Moskowitz en matière de statistiques entrent en jeu.
Les données sont triées selon une méthode nommée analyse conjointe qui
détermine quelles caractéristiques d’un produit seront les plus
séduisantes pour les consommateurs.
Moskowitz se représente son
ordinateur sous la forme de silos dans lesquels chaque attribut est
stocké. Mais il ne s’agit pas seulement de comparer la couleur numéro 23
et la numéro 24. Dans les projets les plus complexes, la couleur numéro
23 est comparée au sirop 11 et à l’emballage 6, et ainsi de suite. Même
dans des métiers où le seul sujet d’intérêt est le goût et où les
variables sont limitées, l’ordinateur va recracher une infinité de
graphiques et de courbes. « Je mélange les ingrédients grâce à cette
méthode expérimentale. Les modèles mathématiques relient les ingrédients
aux perceptions sensorielles qu’ils créent, je peux ainsi composer un
nouveau produit selon une approche d’ingénieur. »
Après quatre mois d’analyse de variations
potentielles chez Dr Pepper, Moskowitz et son équipe proposèrent leur
nouveau goût. Le groupe, qui avait essayé de concurrencer Coca et Pepsi
depuis des années, avait enfin trouvé le gros coup qu’il cherchait. Le
soda au goût de cerise et de vanille (d’où le nom Cherry Vanilla Dr
Pepper) sortit en magasin en 2004. Le succès fut tel que la maison mère,
Cadbury Schweppes, ne put s’empêcher de vendre la marque en 2008, avec
les jus Snapple et 7-Up. Le Dr Pepper Snapple Group a depuis été estimé à
11 milliards de dollars, un chiffre auquel les travaux de Moskowitz ne
sont pas étrangers.
Ce projet était extraordinaire à un autre
point de vue. L’entreprise ne cherchait pas à attirer de nouveaux
consommateurs mais à faire en sorte que ses clients achètent son produit
en plus grande quantité, qu’il s’agisse du goût original ou du Cherry
Vanilla. Ainsi, la campagne menée par l’équipe de Moskowitz avait pour
cible le coeur des fans de cette boisson. Ils proposèrent soixante et
une formules, faisant chaque fois varier légèrement la concentration en
sucre et recrutèrent des volontaires dans tout le pays pour une série de
3 904 tests. Quand ce fut fait, Moskowitz lança ses opérations,
cherchant ce que l’agroalimentaire aime par-dessus tout, l’élément
décisif de la pulsion alimentaire : le point de félicité.
Extrait de "Sucre sel et matières grasses", de Michael Moss, publié chez Calmann-Levy, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.
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